Le moment le plus cruel du récit, c’est quand le faux ami Lyzounov réussit, par l’intermédiaire des sourires de Paraskova, à arracher le livre de bord de Starik, soi-disant pour mettre à jour les comptes. Starik, dans ce seul livre à sa disposition, y a inscrit aussi des réflexions personnelles. Comme nous avons affaire à des gens sans cœur, de peu de scrupules et d’éducation, Lyzounov se permet d’en faire la lecture à haute voix. – "Comment… le vieux sait même écrire !"- minaude notre Paraskova.
Les notes personnelles écrites dans ce livre concernent essentiellement les difficultés auxquelles s’est heurté Starik dans la recherche de l’or sur cette mine numéro six – les intempéries qui durent des semaines, la vodka volée par les ouvriers, la disparition de la réserve de viande salée soi-disant dérobée par l’ours, le manque de pain, la désertion de l’ancien diacre qui est parti avec le cheval et l’argent pour acheter le pain et ne reviendra pas, d’où quelques jours de famine, car on est loin de tout. L’équipe est alors réduite à boire du thé de sauge, manger des champignons et le bulbe des lys de montagne. Autre coup du sort, l’ours s’est attaqué au seul cheval restant. Il y a aussi le départ des ouvriers qui abandonnent et la méfiance envers ceux qui sont restés qui oblige Starik à dormir avec son fusil, tout cela dans des conditions très inconfortables. Enfin, l’or qui s’était bien caché, apparaît enfin, récompensant l’énorme effort fourni, mais amenant d’autres infortunes puisqu’il faut se lier avec des associés. Bien sur, l’homme de terrain connaît peu « le monde ». La mésentente est courante dans ce milieu – l’appât de l’or et de l’argent facile fait rêver des individus « pauvres comme des rats », qui veulent arracher au destin « un juste bonheur » et on voit dans ce récit que tous les moyens sont bons.
Ce sont donc des semaines d’angoisse, de soucis et de lutte qui sont évoquées dans ces lignes écrites sobrement. Leur lecture à haute voix par l’inqualifiable Lyzounov à l’attention des autres associés est gênante, tant on y sent du mépris et de la cruauté. Enfin par le truchement d’un vote bien concocté à l’avance, les associés ôteront tout pouvoir à Starik qui quittera le bureau, les larmes aux yeux, en annonçant son départ. Il partira sans saluer, dès le lendemain à l’aube, avec Louka, mais après avoir élégamment déposé un bouquet de fleurs des bois sur la table de la véranda à l’intention de la dame dont il rêvait. Il avait bien pensé chasser ces personnes de sa mine, avec le fusil s’il le fallait, puisque rien n’était écrit. Seul l’a retenu son penchant pour cette Paraskova à qui il ne voulait pas faire de mal, et peut-être le dégoût pour tout ce beau monde, ses « associés » n’étant que quelques exemplaires de ce que l’on trouve quand l’or arrive.
Dans la mine numéro Six, l’or bientôt se cacha à nouveau et tout l’argent gagné par cette équipe fut dévorée par les travaux de recherche. La compagnie se désintégra. Mais on dit que Starik, plus au nord, eut la main heureuse dans ses prospections.