De cette histoire il ressort qu'il vaut mieux rédiger ses voeux soi-même.
Cette courte nouvelle va nous transporter directement à Petersbourg où réside Koko le plus jeune des rejetons de la très célèbre et très fortunée famille Mezdrine-Ukhvatov. Cette famille, selon les générations, s’est plus ou moins couverte de gloire, mais elle a, par contre, toujours et fermement accru ses biens, en ayant soin d’ailleurs de les diversifier : vignobles en Crimée, poissons sur la Caspienne, mines d’or en Sibérie, lacs salés, forêts… on n’en finit pas d’énumérer. Le chef de famille, c’est la mère de Koko, Elena Anatolevna, qui vit continuellement dans les « bords chauds » comme dit le majordome, c’est à dire dans les villes d’eau, ou quelque part en Europe. On ne parle que français évidemment. Ceci a de l’importance pour notre histoire.
Le dernier rejeton, le petit Koko, a eu une enfance « voyageuse ». Dès le plus jeune âge, il allait de pension en pension, en Angleterre, puis en Suisse, puis en Italie. Il eut droit enfin de choisir lui-même son tuteur et il revint vivre à Petersbourg où le majordome, Ivan Andreitch, s’occupait de ses affaires.
Au moment du nouvel an, Ivan Andreitch doit donc « faire les comptes », épurer toutes les dettes et présenter la note à la tutelle avec la signature du cher Koko.,
Une autre fonction occupe aussi notre majordome : Présenter les vœux de Koko à sa mère par télégramme et recevoir les vœux de la Grande dame, c’est à dire l’en remercier. Le tout en français comme il se doit. A part les fêtes annuelles, il y a aussi les naissances et les décès.
Evidemment, chez Elena Anatolevna, c’est son majordome qui s’occupe de ce type de courrier à la place de sa maîtresse, et cela se fait automatiquement de chaque côté, sans que les intéressés y participent.
Donc voici le défilé des fournisseurs qui viennent présenter leurs notes – salées pour la plupart – elles concernent les cochers, le tailleur, mais aussi les bagatelles – qui vont de la bohémienne à l’Allemande en passant par la Française – voilà pourquoi ces factures pour deux douzaines de chemises féminines et une douzaine de chemises de nuit !... Et les restaurants et … et… Que va en penser la tutelle ! se préocuupe Ivan Andreitch...
Pointilleux, il se fait du souci. C’est à ce moment que le serviteur Gricha apporte un télégramme de Paris. Ivan Andreitch met la dépèche de côté et continue ses vérifications: « seize roubles un porcelet !... » et les discussions avec les créanciers. Quant au cher Koko, il dort. Et au réveil il l'a envoyé promener, en l'injuriant, quand il est venu présenter les comptes.
Revenu au bureau, Ivan Andreitch s’occupe maintenant du télégramme. Il en connaît le contenu, mais tout de même, il met ses lunettes et déchiffre le message en français … il est un peu plus long – la phrase ajoutée aux voeux classiques est inhabituelle, et il n’arrive pas à l’analyser … Ah, le vieux birbe a voulu plaisanter…. Il est vrai que d’habitude les phrases entre Petersbourg et Paris étaient soigneusement recopiées d’année en année par les majordomes…. Or, dans le post-scriptum qu’Ivan Andreitch ne pouvait pas analyser, était écrit « votre mère est morte », bien que le télégramme soit signé par la défunte….
La vérité s’est découverte seulement le lendemain, quand le tuteur est venu confirmer la nouvelle. Le jeune Koko, mécontent, s’est tourné vers Ivan Andreitch : - « Eh bien, vous, là… télégraphiez quelque chose… ».