Dans cette nouvelle Mamine-Sibiriak ne manque pas d’humour pour ridiculiser un tant soit peu le grand homme qui va prendre dans ses filets Savka, le célèbre « brigand » ; petit homme au grand pouvoir, trépignant de ses petits pieds et n’oubliant pas de venir dans la bonne maison après l’office, là où il y a une si jolie table de zakouskis… Voilà l’image que nous retiendrons de Nicolas Ivanytch… mais pugnace, avec ça…. ce fidèle serviteur de l’Etat.
Quant à la fin du récit, quasi à la gloire des réformes effectuées par Alexandre II (abolition de l’esclavage en 1861, justice et censure revues à moins d’arbitraire) on la doit peut-être à ce que cette nouvelle est datée de 1895, début du règne de Nicolas II, souverain autocratique qui, à l’instar de son prédécesseur Alexandre III , semble revenir sur certaines des réformes obtenues par Alexandre II dit le Libérateur. En effet, Mamine né en 1852, à l’époque du servage, a vécu sous le règne de quatre tsars.
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L’auteur commence ainsi son récit :
« le servage d’usine était si cruel qu’il générait des cycles entiers de brigands parmi les esclaves. En fait ces brigands représentaient une protestation sourde de toute la population et devenaient, dans un certain sens, ses rares porte-parole, Ce type d’homme s’attirait alors toutes les sympathies de la masse qui le transformait en héros. Il allait pour la cause commune et la masse le défendait. »
Le célèbre Savka était l’un de ces brigands-esclaves d’usine.
Dans chaque fabrique il y avait un endroit effrayant, spécifique, connu sous le nom de « la machine » où se trouvaient « les voitures d’incendie ». Clin d’œil ironique à la technique européenne. Cette salle des machines était en fait une salle de torture, les voitures n’étant en fait que les fouets et les verges qui agrémentaient cette prison interne. Cet endroit n’était jamais vide. C’est là qu’on donnait l’instruction supérieure qui formait les célèbres brigands, et parmi ceux-ci Savka.
De « la machine », (rappelons-nous du résumé précédent : il n’y avait pas de place pour Averko), il y a deux chemins : Verkotourié (le bagne) ou les bois. Combien préfèrent le second. Voilà dix ans que Savka courait, se servant de sa popularité reconnue même par les autorités de l’usine. Et les moujiks, superstitieux, ne chuchotaient-ils pas qu’il connaissait « un mot » … sorte de passe-muraille….
Mais le petit homme Nicolas Ivanytch était un juge consciencieux. Ayant un très grand pouvoir, il vint avec une cinquantaine de cosaques d’Orenbourg dans le but spécial d’arrêter le célèbre Savka. Pour se faire on essaya de mobliser la population –être obligé de loger des cosaques n’est pas chose agréable dans un village de dissidents : le tabac et la trogne… - Pourtant la population tint bon, longtemps. Cette dragonnade ne mena à rien du tout. Les jours passaient rien ne venait – chaque poursuite se soldait par un échec. Mais Savka tomba malade…
Savka resta une semaine entière à « la machine. » Les enfants se débrouillèrent pour le voir par la lucarne en soudoyant les gardes avec une pièce de dix kopecks. C’était un moujik ordinaire, d’une quarantaine d’années avec une barbiche châtain clair, se reposant, avec ses fers. On l’emmena de l’usine en grande pompe., entouré des cosaques qui écartaient la foule, amassée, silencieuse, murmurante ou pleurant.
Vingt ans ont passé. Le narrateur est venu jeter un coup d’œil sur le nid natal. Toujours les belles montagnes, les mêmes rues d’usine, la même fabrique… Mais la salle de « la machine » est barricadée, inaccessible. De nouvelles lois avaient été promulguées*. Savka, comme les autres, avait été jugé, avait purgé sa peine puis était revenu, en paix.
* abolition du servage 1861 – réforme du système judiciaire, châtiments corporels interdits...
1895