Je ne savais pas que cette si jolie fleurette était connue dans les villages au-delà de l’Oural. Mais il s’agit dans ce récit d’une toute autre fleur.
Nous voici dans la vieille isba d’Ouliana où a fait irruption son fils Vassia. Autant elle est petite et menue, autant il est puissant et étonnant avec son caftan tatar, son feutre blanc sur la tête, ses larges culottes kirghiz en cuir, qui furent brodées de soie, et ses pieds nus. Cheveux chatain clair, barbe frisée, l’œil rapide, il est venu voir la mère pour lui soutirer quelque argent afin de rejoindre les courses qui se passaient chez le bachkir et où il vient de s’accrocher. Il gémit, il supplie, elle crie, s’égosille.. puis s’aperçoit que son pauvre garçon est meurtri après bagarre. Alors toute colère évanouie, elle sort ses herbes médicinales, le panse habilement – elle doit avoir l’habitude – et lui met pour le consoler, la pièce de vingt kopeks dans les mains. Elle le suit au cabaret et revient en pleurant. Le narrateur, qui s’est arrêté dans cette maison voit tout cela.
Nous sommes dans la steppe, dans un village cosaque du nom de Umet, sur la rivière Uj. Chaleur torride, la vie n’est présente que le matin et le soir. Les maisons sont en bois, mais il n’y a plus le moindre arbre tout autour, les toits sont de paille – tout brûle sans arrêt. Il n’y a aucune beauté dans ce village que l’auteur considére plutôt comme un tas de fumier, ce fumier séché qui reste d’ailleurs le seul combustible.
Il n’empêche qu’on allume le samovar et que l’on boit le thé, moment de confidences.
A part les frasques de son garçon qui ont d’ailleurs failli lui coûter la vie, la vieille femme, fille d’un chef cosaque, veuve d’un chef cosaque, évoque les annales du village. Elle se souvient quand les Kirghizs attaquaient les habitants, non dans Umet même, mais dans les champs et comment ils ont tué le Cosaque, enlevé les femmes et même le pope qu’ils ont tondu et à qui ils ont coupé le talon afin qu’il ne se sauve pas. La Horde, musulmane ne s’entendait guère avec les Cosaques orthodoxes. Les incendies étaient chose courante, parfois emportant la moitié du village. Mais en ce temps là il y avait encore du bois tout autour, et l’on pouvait reconstruire. Maintenant c’est à plus de cent verstes qu’il faut aller le chercher. Puis l’or est arrivé dans les années cinquante, d’abord à Kochkar (sud de l’Oural) puis dans la région d’Umet. Cette arrivée a tout bouleversé : alors que l’on vivait selon les coûtumes de génération en génération, ce fut « comme l’eau bouillante sur le peuple » - les hommes se sont jetés sur ces nouveaux métiers, les femmes ont suivi. Son propre fils, gardien de troupeaux dans la steppe, fit de même. Il y eut peut être de l’argent, mais encore plus de pauvreté. Bientôt les accusations de vols fusèrent. Le cabaret ne désemplit pas. Car on a laissé la belle terre noire pour l’espoir d’or , le profit facile, qui n’est jamais qu’un jeu de hasard. Les ouvriers reçoivent la paie tous les huit jours et vont la boire au cabaret.
Demain, nous irons chez le fils de notre vieille Ouliana.
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