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6 décembre 2009 7 06 /12 /décembre /2009 00:54

     Deuxième récit de Noêl.   


         « C’était il y a bien longtemps, quand la Russie périssait sous le nuage tatare.

         La courte journée d’hiver s’était achevée. Tous dormaient déjà dans les villes et les villages, heureux ou malheureux. Seul, un vieillard veillait – le Saint homme Varnava. Son rôle commençait le soir venu. Dans sa cellule cachée dans le bois séculaire, à quelques soixante dix verstes de Moscou,  la veilleuse d’icône inextinguible brillait la nuit entière. Il était vieux, Varnava, mais pas encore décrépi, et il tenait ferme sur la prière des nuits entières. Le plus dur, c’est le moment où les forts se sentent abandonnés par la force,  où la sagesse s’est épuisée chez les sages et le courage chez les braves.

         La nuit. Le vent bourdonne dans le bois. La minuscule lucarne battue par les parcelles de neige sèche frissonne comme si elle recevait du sable. Varnava prie et écoute. Oui, il entend bien cela, ces pas agiles de quelqu’un qui vient prudemment à la porte et murmure d’une voix tendrement féminine :

         - L’ancien, laisse moi me réchauffer.

         - Je connais, je connais – répond Varnava. Tu es déjà venue à moi de nombreuses fois.

         - Tu es méchant, je suis glacée.

         Puis, derrière la porte se font entendre des sanglots féminins réprimés. Mais Varnava est implacable et dit ses prières à haute voix. Il sait que ce sont les débuts des tentations.

         De nouveau la tempête hurle. Le bois séculaire chancelle. Au sommet des arbres milles voix bourdonnent, mais dans tout ce bruit, l’oreille de Varnava attrape un son   - d’abord une note, puis elle se répète, fusionne et passe aux pleurs enfantins. Varnava s’incline sur le livre sacré, lit plus haut, toujours plus haut, mais les pleurs d’enfant sont déjà dans son oreille. C’est terrible pour Varnava, c’est sinistre… devant ses yeux les mots commencent à sauter, et le cœur est embrassé de plus en plus par la pitié perfide.

         - L’ancien, laisse-moi me réchauffer… supplie derrière la porte  la voix d’enfant.

         - Je connais, je connais – répond Varnava… Tu est venu souvent à moi.

         - Tu es méchant… Je meurs de faim.. Chez toi il n’y a aucune pitié..

         Varnava lit encore plus haut la prière et saisit le lutrin pour le lancer contre la porte. Et la voix d’enfant pleure et supplie et demande du pain… Ah … comme c’est terrible… Un pas seulement, et tout le grand travail de cette longue vie périra, comme périra l’âme vivante.

         De nouveau tout a cessé. Varnava ferme les yeux. Et voici que tout le bois éclate de rire ; il  s’y découvre exactement mille trognes, et le glapissement féminin, et le piétinement violent des pieds qui dansent, et quelque part des voix fines de jeunes filles chantent au son de la musique… Oui, il entend ces voix…

         - Je sais, je sais … murmure Varnava.

         - Mais pourquoi serions-nous coupables d’être morts non baptisés ? ouvre-nous…

         - Vous êtes venus souvent à moi. Partez…

         - Toi, tu es méchant – regrette une vieille âme.

         Varnava a l’impression que les murs de sa cellule commencent à se séparer, mais il recueille ses dernières forces et les bénit. Tout cesse à la fois et,  seulement, il reste comme une patte de loup qui gratte inutilement la grosse porte de chêne en faisant entendre un gémissement modulé.

         Longtemps, longtemps, le loup griffe la porte, mais ce n’est pas terrible. Ce n’est pas la peur qui est terrible, c’est la pitié… La tentation s’est achevée. Le bois centenaire bourdonne et gémit à nouveau, la tempête de neige se fâche, cruelle ;   la neige  endort la cellule peu à peu.

          Varnava remercie Dieu pour l’avoir aidé à résister à la tentation. Combien de tentations… Il ne les racontait à personne, personne ne les connaissait. En été, il était allé près de l’eau vers Les petites clés, il s’était incliné pour puiser de l’eau froide, mais au fond brillaient des morceaux d’or pur. Le vieillard s’était signé, et de l’eau était sortie une vipère, mais l’or avait disparu. Il y a eu une autre fois, un arbre  était tombé sous la tempête. Et sous ses racines il y avait des pierres précieuses. Il s’était signé et des grenouilles et des crapauds  s étaient mises à sauter dans la cheminée. Quand la faim le tourmentait, la cellule se remplissait de plats merveilleux, et quand il marchait en chemise une robe de prix se trouvait à sa portée.

         Oui, il avait été éprouvé par de nombreuses tentations, mais elles s’étaient  toutes révélées impuissantes.

         - Le seigneur m’a gardé de toutes les tentations, pensa-t-il...  » …..

 

                                                      ***

 

         Le Saint homme se trompait ( Je résume la fin de l’histoire). Cette pensée l’avait  à peine effleuré que quelqu’un frappa à la porte de sa cellule. Cette fois-ci c’était une grossière voix d’homme.  Varnava se signa… -  Ouvre vite, Varnava, c’est ton frère Akima !  Le saint homme ouvrit la porte et reconnut son frère. Qui ne le connaissait pas ! ce brigand criminel était connu tout autour de Moscou. Il était poursuivi par le vovoïde, le bois était cerné et l’homme demandait asile : - tu recevras ce que tu as gagné, tu ne rentrera pas … se défendit le moine.

         Mais comment laisser dehors ce frère quand on  entend  déjà la poursuite, quand les chevaux sont proches. Alors Varnava a indiqué au frère la place sous le banc…   Le vovoïde arriva mais était fort confus. Il était venu pour lui-même il y a déjà trois ans se faire pardonner ses péchés par les prières du saint homme. Et il en avait accumulé d’autres, des péchés. Il aurait voulu éviter la cellule, mais les traces y menaient directement. Alors bravement il ôta son bonnet, entra, et s’assit sur le banc.. Le vovoïde Ivan Loukianytch regarda la cellule : nulle part où se cacher. Il s’excusa mais déclara qu’il attraperait cet Akima, qu’il l’empalerait, etc, etc – « Tu te vantes » s’exclama, outré,  Akima de dessous le banc, mais le vovoïde crut que c’était le saint homme qui le réprimandait… « Alors je lui couperai la main droite, puis le pied gauche, et ensuite sur le pieu… ». Varnava se mit à trembler – c’était tout de même son frère qu’on voulait châtier ainsi. Peut-être il peut encore se repentir… Varnava voulut offrir eau et pain dur au vovoïde qui refusa… et continua obstinément à parler des traces qui menaient jusqu’ici . Le saint homme assura que le frère, cela faisait longtemps qu’il ne l’avait vu.

         De sa cachette, Akima eut honte : certes, il avait beaucoup de crimes sur les mains, mais tuer maintenant l’âme sacrée du frère, non, il ne le pouvait pas. Alors il  sortit de dessous le banc et se présenta au vovoïde qui resta pétrifié et  ne put prononcer un mot tant il était étonné. C’est que, Akima le brigand lui reprocha durement d’avoir montré les dents au moine et d’avoir amené celui-ci à mentir. -- Moi, je ne veux pas détruire l’âme sacrée, et voilà pourquoi je me présente à toi …. Le vovoïde resta la bouche cousue. - Je vois que la soif te tourmente, reste assis, je vais chercher de l’eau, - proposa le bandit. Le vovoïde vit Akima prendre le seau et passer la porte, mais ne put bouger. D’ailleurs,  que craindre, la cellule était cernée de tous côtés. Pourtant quand une vieille personne décrépie se présenta aux gardes pour aller chercher de l’eau pour étancher la soif de leur chef, ceux-ci, pensant voir le moine, ôtèrent leurs bonnets et le laissèrent passer. Quand le vovoïde Ivan Loukianytch reprit ses esprits, il bondit hors de la cellule, mais la trace d’Akima était déjà froide.

         - Pardonne moi, Ivan Loukianytch.. demanda le moine en se signant.. Je t’ai menti, mais j’ai sauvé le frère…   C’était la dernière tentation.  Il les avait toutes surmontées, mais là, il s’était  affaibli… il avait menti… par amour..

 

1895

 

 

 

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