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1 décembre 2009 2 01 /12 /décembre /2009 11:34

Voici, résumé, l’un des récits de Noël que nous offre Mamine-Sibiriak – Je crois bien que notre auteur, dans ces quelques pages, nous met en garde contre le monde moderne toujours si pressé qu’il ne réfléchit plus guère où cette soif de pouvoir l’entraîne.  Et il met aussi l’accent sur les relations de travail de cette ère industrielle qui pointe son nez avec ses divisions selon les postes et les rangs.

 

 

 

                                             Les feux

 

Nous sommes près de la voie ferrée. Un feu éclaire quelques visages : ce sont des cheminots. Le travail de jour est terminé depuis longtemps, le souper également. Mais personne ne va dormir car on attend le premier train d’essai qui fera toute la ligne, venant de Perm.

 

Ce mois d’août est sombre et froid. Les ouvriers envient le garde-voie Andréitch qui vit là, dans la surface habitable de la cabine  avec sa femme. Lui au moins vit au chaud, il n’est pas trempé par la pluie, et en plus il reçoit un traitement. Oui, tous les mois. Vraiment, celui-là est né dans sa chemise…

 

Ils sont là, écrasés par le bonheur du garde-voie qui,  lui,  n’est pas éloigné de sa famille. Et le plus vieux allonge ses mains près du feu et soupire. C’est qu’ à cinquante verstes à la ronde les villages sont absents. Mais d’où  vient pareille aubaine au gardien…  Et on remet des bûches dans le feu qui crépite… les flammes esquissent vivement le remblai de la voie ferrée, réglée par deux lignes de rails. Derrière c’est la sapinière sombre, et à gauche la descente de la montagne vers le pont qui se trouve non loin de la ligne de partage des eaux (entre Europe et Asie). Le chemin fait une large courbe si bien qu’on peu apercevoir la cabine où vit le garde-voie.

 

Et toujours de comparer les bonheurs de certains : Varonej, celui qui garde le pont, en bas, n’est-il pas plus chanceux qu’Andréïtch ? – Allons, le train va bientôt passer – et il sera temps d’aller dormir -  calme le vieil ouvrier.

 

Andréïtch, le gardien,  lui ne dort pas. Il est déjà sorti deux fois de la maisonnette. Il doit examiner la voie jusqu’au pont. C’est un moujik de taille moyenne, habillé « selon la ville » : des bottes, le veston en gros drap de coton. Autrefois il servait chez les marchands, et maintenant il a ce dont il avait rêvé sa vie entière : une vie indépendante, avec une responsabilité : il a celle d’une verste entière du chemin de fer. Il a conscience de cette responsabilité, de cette dignité,  et c’est pourquoi il ne veut pas s’approcher du feu avec les ouvriers.

 

La lune est sortie des nuages. Andréïtch fait son inspection jusqu’au pont, marche de traverse en traverse, « comme une grue » ronchonne là-bas un ouvrier – «  et si quelque chose ne va pas, c’est nous qui devons réparer… » . Le garde-voie va jusqu’au pont, fait la liaison avec son collègue.  Mais en revenant, il aperçoit, non loin des rails, deux têtes. Qui peut s’approcher ainsi, en pleine nuit ? Il a un peu peur – le couteau est vite sorti à cette heure. Il interpelle - c’est un tout jeune et un vieux. Il s’aperçoit que le jeune a peur et que le  vieux est assez faible. Que faites-vous ici ? voir la voiture ?  ou dévisser un écrou ?  Il n’est pas commode. Il finit par les pousser devant lui, jusqu’aux ouvriers en leur demandant de bien les surveiller (non il ne pouvait  les laisser  dans la maisonnette – s’ils égorgeaient la femme). Puis équipé d’une lanterne,  il va voir à nouveau si il n’y en a pas d’autres, si tout est en ordre. Seul un levreau filera devant lui.

 

Les ouvriers sont intrigués. Les deux hommes sont des « skitnik », c’est à dire des vieux-croyants vivant dans les monastères. Le vieux, tout parcheminé, se réchauffe… il est loin, perdu dans ses pensées… Enfin il se met à parler.

« Nous sommes venus de loin, dit-il, Aliocha et moi. Nous avons voulu voir le pouvoir de la dernière bête, comment elle « respire » le feu. Pourquoi se dépécher ainsi ? – mais  petit oncle, lui répond t-on, les affaires – avec cela,  ça ira plus vite, ce sera meilleur marché ! ce qui ne put convaincre le vieux croyant qui  expliqua que les affaires, il y en a toujours eu, et elles s’accumuleront…  tous se dépécheront un peu plus… oui .. on a attelé le feu au char…. Et le feu dévorera chacun de ceux qui se dépèchent.

 

Les ouvriers impressionnés, écoutaient avec intérêt  et respect ce vieillard qui, dans le bois de Dieu, s’était mis à prier.

 

Puis le cor du gardien retentit. Tous se sont secoués. Le train arrivait. Il y eut d’abord un point clair qui s’est élargi puis des rayons de lumière vive. De la cheminée s’échappait une fumée noire  et des gerbes d’étincelles. Trois feux étaient visibles maintenant : en haut le jaune, et sur les côtés,  les vert et rouge. La terre grondait et gémissait.. le train est passé en coup de vent avec un nuage de vapeur blanche. Par les fenêtres éclairées des wagons on percevaient des figures humaines.`

 

Les vieux croyants se sont signés et ont reculé. Puis le plus vieux a chuchoté : « maintenant, il faut aller, Aliocha… »

 

Leurs traces étaient déjà froides quand le chef est revenu. Il disputa longtemps et violemment les ouvriers.

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