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13 juin 2010 7 13 /06 /juin /2010 09:58

Je viens de passer pas mal d’heures à essayer de déchiffrer une partie du compte-rendu du voyage au pays des pierres fines qu’a fait Mamine Sibiriak en 1889 ou 1890, dont je vous ai parlé dans mon dernier billet. Le récit que j’ai en main n’est pas daté, mais il fait référence pour ses chiffres aux statistiques de 1886.  ( Mineralogic Almanach vol. 2 - 1990).

Il y a  un monde entre les hélicoptères d’aujourd’hui qui mènent  les curieux directement sur le site même des mines qui ne sont connues de tous que par leur gigantisme et les énormes outils utilisés, et celles que nous allons visiter en carriole. Nous sommes dans une situation totalement inverse – l’approche compte ici ;  une chance encore que le chemin de fer existait  depuis peu -  et que l’auteur et son compagnon aient pu aller d’Ekaterinbourg à Neviansk par ce moyen de locomotion. Encore nous fait-il part de ses remarques sur ces cents premiers kilomètres et elles ne sont pas oiseuses. L’environnement est analysé dans tous ses détails Sur ce sujet on n’a rien inventé, on ne fait que le redécouvrir.


LES PIERRES FINES

 

I

D'Ekaterinbourg à Neviansk

 

                                                         

Vassily Vassilytch propose à notre auteur d'aller à Murzinka. L'eau a démarré (c'est le dégel), les labours sont terminés, la moisson est loin. C’est le moment où les moujiks travaillent la pierre. Par contre, il y a peu d’extraction : celle-ci a  lieu surtout en hiver.

Murzinka: c'est un grand village du district de Verkhotourié implanté depuis des siècles, connu comme le centre des pierres fines les plus typiques de l'Oural. C'est qu'il y a une grande différence entre la topaze de Murzinka et celle des monts Ilmensky, au sud, et aussi entre l'améthyste de Murzinka et celle qu'on trouve en Bohème, nous dit l’auteur. Cette différence, ajoute-t-il, n'est visible que pour le connaisseur seul, ou l'amateur averti, et non pour le public non initié. 

Donc  voilà nos deux compères en route par cette journée ensoleillée de la fin avril, si appréciée dans cette région où le printemps est tardif et capricieux. A la gare d'Ekaterinbourg il y a  foule,  car aux voyageurs ordinaires se mêlent l'activité due au dégel : le printemps éveille en effet l'activité privée et "menue"  de l'or, qui s'endort avec l'hiver et se réveille avec la première eau. Vassily Vassilytch appartient à cette catégorie et il s'agite en tous sens, traversant, courant, allant d'un groupe à l'autre. Il rencontre à chaque pas des "gens nécessaires" et des familiers. Déluré, toujours gai, souriant,  Vassily Vassilytch est solide, trapu, avec un visage rond et bronzé, des yeux vifs. Les grosses bottes, le blouson suédois et le ciré lui donnent l'aspect indistinct du marchand ou du chasseur…..Enfin il revient à sa place, dans le wagon de troisième classe après avoir écrit une lettre, expédié deux télégrammes, bu trois petits verres de vodka… Là il rencontre un certain Zakhar Ivanytch… conversation, blagues et bruit font partie du voyage. 

Une centaine de verstes (env. 100 kms et trois heures de train) séparent Ekaterinbourg de  l'usine de Neviansk plus au nord où ils s'arrêteront. De chaque côté de la voie ferrée s'étalent des lacs couverts . Sur eux grandissent le bouleau scrofuleux et le pin nain. L'oeil distingue facilement les îles boisées, les caps pierreux et l'aspect général des terrains. C'est le résultat de la déprédation des bois. Dans le futur, ces tourbières seront la seule matière inflammable. C'est que nous sommes, d'Ekaterinbourg à Neviansk,  sur les terres appartenant, « selon un droit mythique »,  à deux usines : Verkh- Isetsk et Neviansk,  l'une possède 1 000 000 d'hectares, l'autre 180 000 ( l'auteur parle de déciatines : 1 déciatine = 1, 0925 ha), Immense distance sur laquelle le bois a été totalement exterminé tant et si bien qu'il ne restera que la tourbe comme combustible. 

On a tant parlé des richesses fabuleuses de l'Oural que c'est devenu une expression banale, dit l'auteur. Mais la richesse n'est pas identique sur tout ce territoire. Il y a des coins qui se détachent comme dotés exceptionnellement de tous les biens. C'est vers une telle place que se dirigent nos voyageurs. Au fur et à mesure que le train approche de Neviansk l'animation se fait plus vive ; presque partout les métiers d'or avec leurs groupes pittoresques d'orpailleurs, les installations de lavage, les productions profondes, les sables lavés,…Cette fièvre de l'or se trouve particulièrement à Rudiansk et  à l'usine Shuralinsky (construite par Demidov en 1716 - ndr) où l'on descend même dans l'étang pour chercher l'or sur le fond. Mais c'est Neviansk qui est le centre de cette activité.

A Rudiansk une foule entière de gens simples et solides, visiblement des vieux-croyants,  fit irruption dans le wagon. Un seul voyageait,  Iakoun, un jeune garçon aux yeux inquisiteurs, les autres l'accompagnant seulement. Quoique habillé pauvrement, il avait avec lui un excellent sac de voyage en cuir qu'il a serré dans le coin, contre lui-même. Il reçut quelques bons conseils, puis la cloche annonçant le départ,  il salua aux pieds toute la parenté. Celle-ci partie, il amassa ses affaires et s'assit haut, comme l'épervier, comme s'il craignait que quelqu'un attente à son bien. Vassily Vassilytch rappelle alors : 

 - oui, c'est bien Iakov de TokovoÏ - il va à l'exposition à Paris avec les pierres ; il avait une devanture déjà à Ekatérinbourg lors de notre exposition, dans la section artisanale. Le peuple devient débrouillard - c'est Samoshina qui leur a montré le chemin… Elle a été la première à aller à Moscou avec les pierres de Murzinka, et les autres, des villages voisins, ont suivi. Quand nous serons à Murzinka, nous irons chez Samoshina.

Le jeune Iakoun a confirmé qui il était et où il allait car Vassily Vassilytch lui objecta qu'il ne pouvait aller qu'à Paris, la foire de Nijni Novgorod étant encore loin, le public de la capitale  étant parti vers la province et Pronka Samochihine ayant été à l'exposition de Copenhague !

Encore quelques portraits de voyageurs, comme celui de Zakhar Ivanytch, à la mémoire prodigieuse, qui n'aime lire que des livres compliqués et les recommande à une jeune voyageuse qui  lit  la revue Niva (le champ de blé- revue qui d'ailleurs a publié les oeuvres de Mamine Sibiriak en 1915-18 ndt).

Enfin  voici  Neviansk, jolie petite ville de district aux riches églises,  aux maisons blanches en pierre et aux toits verts en fer, gâtée seulement par la vieille usine (usine de fer ndr) et cette steppe nue tout autour, paysage complètement déboisé. Mais la place est riche, commerçante et peuplée de 15000 habitants - sur tous il y aura de l'or, dit Vassily Vassilytch, et il nous en restera, mais comme la tour a penché  ! - remarque-t-il, il  - la chère amie, c'est qu'elle est vieille… quelle chose curieuse… 

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