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14 janvier 2018 7 14 /01 /janvier /2018 13:53

LES COMBATTANTS

 

Mamine-Sibiriak

Bonjour à vous. Ce texte a été mon premier article, en 2009, dans ce blog. Illisible maintenant parce que morcellé et inadapté aux divers changements, il reste, à mon humble avis,  le travail le plus intéressant - et le plus difficile ! -que j'ai mis à la disposition de tous : ceux qui s'inquiètent de la condition ouvrière, de la condition féminine, de l'écologie, n'y seront pas insensibles. Le voici, rétabli dans son ensemble.


J'aimerai partager avec vous la découverte de différents récits écrits par l'écrivain russe Mamine Sibiriak, concernant son Oural natal.
Pourquoi mon blog s'intitule "Les récits oubliés". Parce que ce sont les mots qui me viennent quand je vois cet auteur si peu traduit dans notre langue, alors qu'il nous fait découvrir la vie en Oural, cette frontière de l'Europe pas tellement connue. Il s'agit de l'Oural du XIXe siècle, avec ses haleurs, ses usines, ses mines, son or, ses vieux-croyants, ses paysans, ses rivières et ses lacs, ses immenses forêts, ses foires et toute la mosaïque de peuples qui y circulent.
Je connais quelques uns de ces textes. Le vieil homme qui m'a fait connaître, il y a longtemps, cet auteur, a laissé dans ma bibliothèque d'innombrables récits  de Mamine Sibiriak dont certains sont passionnants.  Certains romans sont mis en ligne maintenant, mais en russe. Je me propose donc de vous faire part de mes découvertes, en vous racontant ce que j'ai retenu de mes "décorticages", ce serait trop dommage que je garde cela pour moi toute seule !

 

Bonjour. Mon premier décorticage (d'un texte en russe) concerne les « bourlakis », c’est à dire les haleurs. Pas ceux de la Volga qui sont immortalisés grâce au célèbre tableau de Répine. Je parle de ceux qui descendaient une rivière de montagne, la Tchoussovaya, liaison entre les usines de l’Oural et les grands fleuves Kama-Volga. Ils étaient des milliers, tous  quais confondus. Ils ne tiraient pas la barque, non, ils étaient  dedans. Et heureux ceux qui arrivaient à Perm, le port sur la Kama,  avec la cargaison de fonte, de fer ou de cuivre car les barques cassées, les noyés et les blessés n’étaient pas des exceptions. En effet, la Tchoussovaya a une particularité. Cette magnifique rivière de montagne sur laquelle,  aujourd’hui, les touristes font de belles promenades en canot,  était extrêmement dangereuse quand naviguaient ces caravanes d’énormes barques à fond plat . Elles la descendaient au moment du dégel, c’est à dire lors des grandes crues, fin avril début mai, dès que la glace l'avait libérée. Les plus grands dangers venaient du courant démonté (Tchoussovaya veut dire courant rapide)  et des «Combattants »,  ces sombres rochers qui bordent ou qui encombrent le lit de la belle, comme pour la défendre contre les intrus.  Les combattants, c’est le titre donné par Mamine à cet essai, et les haleurs, au cours des temps, ont donné des noms à chacun de ces rochers, comme on en donne aux personnes bien vivantes..
         Aujourd’hui, si les cinéastes s’emparaient de ce récit , je crois bien qu’ils pourraient en faire un film catastrophe, mais c’est bien mieux que cela, c’est toute une tranche de vie qui a disparu avec l’arrivée du chemin de fer dans cette région.

         Je me propose donc de vous résumer ce qui m’a le plus frappé.


                                                            ***

       Je continue donc à vous raconter. La Tchoussovaya, navigable sur quelques 600 km,  est une curieuse rivière qui prend sa source en Asie, passe « la frontière » et vient descendre les pentes ouraliennes en Europe. C’est la seule à faire cela paraît-il.  L’Oural :  il regorgeait à l’époque de minerais : fer, cuivre, or, diamant, pierres précieuses,  malachite, tout ce que l’on veut. Evidemment on y installa vite des usines.  Autour de ces usines on installa des villages ou devaient vivre les  ouvriers-paysans, guère mieux lotis que pendant le servage aboli en 1861, une vingtaine d’années plus tôt ( le récit date de 1883). Donc la fonte, le fer, le cuivre – il faut le transporter. Le chemin de fer est en train de s’installer, mais il n’est pas encore arrivé sur les hauteurs de la Tchoussovaya. Il reste donc la voie d’eau.  Une voie d’eau que l’on peut descendre, mais qu’on ne remonte pas, sur une rivière praticable quelques jours par an,  au printemps. Chaque port fluvial, appelé « quai » fabrique donc ses barques qui descendront à Perm. (J’ai vu quelque part qu’ensuite elles seront vendues comme du bois).
         Parlons de ces barques : des engins de 38 mètres de long, environ 8 mètres de large, un peu comme une tortue avec à l’avant et à l’arrière deux énormes poutres que j’appellerai faute de mieux rames-rondins  plutôt que gouvernail  – il faut diriger les barques soit par l’avant soit par l’arrière. – elles semblent posséder deux ponts. L’ossature est faite carrément de sapins tout entiers avec une partie de la racine qui sert de pied s’encastrant sous le plancher de la barque –  Mamine les décrits en détail et indique qu’elles sont très rudimentaires par rapport à la difficulté de la navigation dont il explique techniquement tous les détails . Mais c’est solide . L’engin terminé, colmaté au goudron,  a demandé 300 rondins pour sa fabrication. Il est mis à l'eau au dernier moment et  devra transporter une bonne cinquantaine de haleurs , plus de deux cents tonnes de métaux et deux ou trois voyageurs peu fortunés obligés de prendre ce mode de transport pas du tout sécurisé.  Avec le métal, la foule de haleurs, les voyageurs, les provisions pour quatre-cinq jours, il y a aussi le chef de l’embarcation et le flotteur (ou pilote) responsable de la route et des haleurs–  c’est lui le héros du roman, celui duquel dépend la survie de tous.  A demain, sur le quai de Kamenka.


     ***                      

 


Bonjour,  je continue à vous raconter .. 
         Nous voici sur le quai  de Kamenka , port fluvial du cours supérieur – il faudra transporter fer, cuivre et fonte à Perm à plus de quatre cents kilomètres,  là où la Tchoussovaya se jette dans la Kama. La Kama, comme la Volga sont des fleuves tranquilles par rapport à notre montagnarde dont le courant peut être dix fois plus rapide.
         Donc on embauche. Le caravanier (la société de transport) va prendre pour haler des paysans, des ouvriers d’usines et des professionnels qui vivent sur les quais.
         Les plus malheureux à mon sens, les plus en guenilles, ce sont les paysans – ils viennent souvent de très loin, en laptis ( espèce d’article chaussant en écorce de bouleau tressé), ils partent de chez eux parfois trois semaines et plus avant la convocation, le travail dure environ une semaine , selon le contrat et les aléas, puis ils retournent chez eux –à pied - ils peuvent donc être partis bien plus de deux mois de la maison, sans qu’ils aient vraiment voulu ce travail qui arrive quasi au moment où il leur faudrait ensemencer les champs. Pourquoi sont-ils là – eh bien, en gros il n’y a plus de servage, on leur a vendu la terre (trop cher) les récoltes sont mauvaises – ils ne peuvent pas joindre les deux bouts et ne peuvent payer l’impôt ( la taille) au Volost ( administration de leur village). Le caravanier, filou, envoie ses recruteurs là où il sait que les récoltes ont souffert. Le recruteur va au volost, prend la liste des débiteurs – et leur fait signer un contrat pour le flottage, avec l’assentiment des responsables du volost : tu vas au flottage, tu ramèneras tes 6 ou 7 roubles pour payer ce que tu dois. Tout cela c’est un des paysans : Silanty, qui le raconte dans le récit . La paie pour le halage, lamentable :  le chiffre est dit : 8 roubles pour l’homme, 4 roubles pour la femme qui ne devrait, selon la loi, jamais être embauchée . Mais la loi ! Quant aux ouvriers d’usine, si j’ai bien compris, on ferme les usines pour quasiment les obliger à faire ce travail de quelques jours ! C’est que si la Tchoussovaya est un long fleuve tranquille au long de l’année avec de rares villages sur ses rives,  il s’y presse au moment du flottage dans les vingt cinq mille personnes. Son rôle est très important dans l'économie du pays. Chaque flottage de printemps emmène vers les grands centres la production desdites usines, quelques 6 millions de pouds de marchandises,  (100.000 tonnes). A demain... sur le quai. 


***

  Les Russes avaient leurs propres mesures - les voici, avec les conversions.


1 verste = 1,06 km
1 sagène = 2,13 m 
1 archine = 0,71 m
1 verchok = 4,4 cm
1 poud = 16,38 kg  

***  

 

Bonjour – je continue mon compte rendu – si vous êtes là, c’est que vous avez un certain intérêt pour notre frère le haleur, arrivé sur le quai de Kamenka.
          Donc, comment le reçoit-on,  ce haleur ?– Eh bien RIEN n’est prévu ! il doit présenter son contrat au bureau et être là à temps pour se faire inscrire, sinon gare à l'amende... Il dormira où il pourra : dehors ; il mangera ce qu’il trouvera : des croûtes de pain moisies achetées au plus bas prix – il a les habits qu’il a sur le dos et on ne lui fournira même pas, comme aux ouvriers d'usine, de gants de cuir pour transporter les paquets de cuivre ou de fonte de l’entrepôt à la barque. Quand il sera trempé, il sèchera son pantalon et restera en chemise, et vice-versa ensuite. Juste la bure sur le dos... Et ce n’est pas la chaleur ! C’est tout dire pour l’équipement. Il touchera un rouble d’acompte pour se nourrir et voilà. C’est à peine croyable.Le typhus s’installe et on en meurt.– Il est dit noir sur blanc dans le récit qu’un rat se détournerait de certains plats et que les chevaux sont mieux traités que les hommes. De plus, le départ est retardé car le dégel est lent, et le dédommagement est faible. L’auteur de ce récit se documentait longuement – Mamine Sibiriak a fait des études de médecine vétérinaire, puis une atteinte de tuberculose l’a fait se tourner vers le droit et, finalement,  vers le métier d’écrivain qu’il a appris en travaillant pour des journaux, quand il était étudiant à Petersbourg. C’est clair qu’il est choqué de l’irresponsabilité des industriels de ce temps-là.
Il y a toujours des histoires dans l’histoire. Il est dit qu’un paysan, dont la vache est devenue enragée, plutôt que l’enterrer,  l’a donnée à une peuplade vogoule venue haler. Ces gens qui crevaient de faim ont fait un sort à la vache folle et ont tellement mangé et mangé qu’ils étaient presque anéantis, comme ivres de nourriture – un spectacle assez terrible à voir ce soir-là, d'autant que les loups hurlaient au loin, enfin pas si loin, par la bonne odeur alléchés - puisque tout cela se passe dehors, sur la rive.         Pendant ce temps, dans les locaux du caravanier, juste au-dessus des quais,  on fait bombance – vins fins, petits déjeuners, soupers,  on ne se refuse rien car il faut trouver de nouveaux actionnaires (ceux qui ont les capitaux voient le chemin de fer arriver et essaient de fourguer leurs actions à d’autres en promettant monts et merveilles).  Le moyen d’appâter est toujours le même depuis la nuit des temps – la bouffe… ce qu’on appelle élégamment aujourd’hui « les repas d’affaires ».
    Mais la rivière se libère enfin de ses glaces. C'est la fête. On va partir. 

 ***

 

Bonjour – j’espère que je ne vous déprime pas. Alors on va suivre les haleurs. 

         En versant brutalement la réserve d’eau de l’immense étang d’usine dans la rivière, la glace a cédé  et on va  pouvoir enfin partir, tout du moins les caravanes des quais du cours inférieur. A Kamenka les barques sont mises à l’eau et on les charge. Deux-trois jours après on réouvre les vannes et cette fois-ci  c’est le quai de Kamenka qui libère ses barques. Elles vont filer sur la Tchoussovaya après avoir passé l’écluse (Le village est à l'intersection de la petite rivière Kamenka avec la Tchoussovaya )  Il y a  deux bonnes douzaines d’embarcations.  Elles sont bénies par le pope (il a béni aussi les morts du typhus). Le « Plus » agite un mouchoir blanc, Un coup de canon déchire l’air, et les voilà « nageant ».
         Au départ, ça irait plutôt,  il y a même la première halte (la poigne d’après la traduction) qui se passe bien –  Mais le temps est mauvais – il pleut - et on a pris du retard avec les fichus repas de Monsieur « PLUS »  comprenez le « plus haut » des actionnaires. Et se profilent à l’horizon les fameux combattants, je veux dire les rochers qui bordent la rivière, ou qui avancent leurs arêtes devant les barques pour les empêcher de passer, les sauvages ! Avec ça la Tchoussovaya gonfle bien trop par rapport à la moyenne.Et que je valse, et que je te fais des tournants et des crochets,  juste là où il ne faudrait pas, à cause des « pierres » qui attendent, aidés par le courant féroce, les malheureuses barques pour leur faire la fête. A en avoir des cauchemars. Ces fichus combattants ils ont des noms : La Pierre Haute,  Le Four, la Bouvière, le Brigand, Molokov, etc. Ceux-là sont très dangereux. Une année, une barque sur cinq n'est pas arrivée à Perm.   En 1873 il y a eu une centaine de morts et un nombre fou de « barques consummées de chagrin » comme dit le haleur pour qui l’embarcation est un être vivant et pour lequel il a des expressions très imagées. C’est là où le flotteur devient le héros car c’est de toutes ses qualités et de son sang-froid que va dépendre la survie de la barque et de son équipage.
         Je ne peux entrer dans les détails de ce combat. Tout est décrit par le menu. Tout ce que j’ai retenu, c’est qu’en plus, à cause du mauvais temps et de la rivière trop haute, il a fallu faire une « poigne », un arrêt de cinq jours non prévu sur un petit bout de rive accessible dans le plus complet inconfort. Là, les paysans, n’en pouvant plus de sentir leurs champs non ensemencés, ont pris la poudre d’escampette, sans rien dire à personne. Il seront remplacés par des ouvriers d’usine. Les paysans n’auront pas leur paie, évidemment, mais peut être la vie sauve. Car il ne fait pas bon mourir sur la rivière. On te met sur la berge et les bonnes gens t’enterrent là. Point. Si tu es accidenté, idem, sur la berge … et tu te débrouilles. Et pour plus tard, pas de pension, que la loi  pourtant a prévue.   Là on aborde toutes les magouilles possibles.

***

 


Bonjour – un mot sur les magouilles.
 
         D’abord pour ces Messieurs, le haleur, c’est la plaie – il a des prétentions, parfois, de préférer son champ !  Comme la paie est ridicule, il faut encore la rogner – avec des amendes : par exemple, si tu arrives en retard  - tant pis, même si tu viens de fort loin à pied ! les paysans sont groupés en artel – l’un vient à manquer, l’artel entier est solidairement responsable. Economie sur le nombre également, là où il est compté 60 hommes, on en met en fait que 50 – on oublie de déclarer les invalides. Les femmes sont certainement comptées comme des hommes, mais en réalité payées moitié moins… etc. Le renflouage des barques est-il toujours déclaré... C’est aussi bien à l’échelle de la direction que de celle de l’employé que les entourloupes ont lieu. Il paraît que c’est juteux de travailler sur les caravanes (pas en tant que haleur ou flotteur) et l’encadrement, si pauvre qu’il était au départ, termine sa carrière avec quelques biens solides et rentables à Perm ou autre ville

         Magouille – il arrive qu’il y en ait aussi du côté des haleurs. Dans le récit, trois ouvriers d’usine, par ailleurs les meilleurs haleurs, ceux qui savent aller de barque en barque avec le canot, qui savent risquer gros et font quasi du corps à corps avec le danger, ces moujiks-là s’étaient débrouillés, lors de la halte forcée,  pour dérober du cuivre grâce à l’aide d’une des femmes. Du cuivre à bayonnette – les usiniers œuvrent pour le conflit en cours. Découverte, la belle est maltraitée par le responsable de la barque, mais le pire, c’est que l’un des trois ouvriers – le mari – l’a battue quasi à mort pour s’être fait prendre, devant toute l’assemblée qui a regardé cela d’un œil absolument indifférent, pour ne pas dire approbateur. C’était le mari qui battait, alors il avait le droit !. Même le flotteur a laissé faire… si ce n'avait pas été le mari, on aurait peut être réagi ! Mamine Sibiriak s’est beaucoup intéressé au sort des femmes – il y a des textes intéressants sur le sujet.
         Demain, j’aborderai un problème qui joue encore des tours à nos voisins russes – et qui tient une grande place dans cette histoire : la vodka.


                                                            ***           

 Une parenthèse :


 LES ECRITS -  Dans cette pierre il y a une petite grotte. Au-dessus, très haut, une croix a été gravée avec une inscription. Juste en face d'elle, sur la rive opposée, une immense croix faite d'un seul bloc a été dressée en son temps, commémorant la naissance du fils d'Akinfi Demidov : Nikita en 1724. Cet Akinfi était l'homme le plus riche de la Russie après le Tsar. Il est à l'origine de la création de nombreuses fonderies, de mines de fer, de cuivre en Oural où la vie était particulièrement difficile pour le serf, mais Akinfi fut anobli.

                                                           ***
 

 La vodka, vous aimez ? avec des « zakouskis » c’est à dire des tas de petits hors d’œuvres salés, très agréable, mais modérément. Et pas tous les jours…
         Un rapport vient d’être publié en Russie sur la démographie actuelle et a été traduit en français puis mis sur Internet via l’IFRI. Aujourd’hui il y a un gros problème démographique chez nos voisins russes dans lequel s’inclut une trop grande mortalité masculine. On annonce que tous les ans 500 000 Russes ( et plutôt des hommes) passent de vis à trépas à cause de « cette petite eau qui pique » comme l’appelait un enfant. Mais je reviens au récit :
         Eh bien, sa majesté la Vodka joue un rôle non négligeable chez nos haleurs . Peut être moins chez les paysans qui sont souvent vieux-croyants.  Ils étaient nombreux en Oural a avoir gardé l’ancienne foi qui ne permettait pas les excès et interdisait même le  thé, la pomme de terre et le tabac, le diable en personne « par qui venait la méchanceté du monde » - ça venait surtout de l’étranger !
         Avant le départ, le cabaret était plein d’ouvriers d’usine venus dépenser leur acompte en buvant, chantant et en jouant de la balalaïka.
         Pendant le flottage, interdiction de boire, mais pendant la seconde « poigne » due au mauvais temps, certains ont bien trouvé le moyen d’aller vers un lieu habité où ils ont trouvé ce merveilleux breuvage.
         Comment soigner  quelqu’un qui a de la fièvre, sinon le frotter avec l’alccol. D’ailleurs, il n’y a pas de médicaments.
         La vodka est surtout là, dans la dernière partie du voyage, alors qu’on en a terminé avec les pierres, que la rivière s’élargit mais qu’elle vous tend le piège du banc de sable ou du fond caillouteux. Quand la barque « se pose », comment encourager les haleurs à rester dans l’eau glacée jusqu’au crépuscule pour tenter de la déplacer sinon en leur apportant, dans l’eau, sur le lieu de travail,  le petit verre. Avec la "Doubinouchka", le chant des haleurs, ça aide.
         Enfin, arrivés à Perm, ayant reçu le solde de tout compte, combien vont aller au marché noir – le marché communal porte ce nom – y traîner dans la boue, et finir par entrer dans une gargote pour boire l’argent si difficilement gagné.  Comme dit si bien Mamine, comment leur en vouloir, après tout ce qu’ils ont vécu comme souffrances, avant et pendant le flottage.
         Pendant ce temps-là, chez le caravanier, ça boit aussi pas mal, mais là on se gave de vins fins et de champagne, de cognac  et autres importations, comme les homards et les pâtés de Strasbourg !

 

En conclusion :


          J’espère que j’ai éveillé votre curiosité sur ce qui se passait sur la Tchoussovaya,  cette  belle rivière de montagne, et sur l’auteur de ce récit, Mamine Sibiriak.  Les personnages de ce roman sont intéressants, on vit avec eux, on s’inquiète avec eux.  Mamine évoque des problèmes qui sont toujours d’actualité que ce soit sur la distribution des biens, la rentabilité des capitaux,  le remplacement de l’homme par la machine,  la défense de la nature. Ecologiste avant l’heure, malgré qu’il soit chasseur lui-même, il défend l’animal sauvage,  a une grande admiration pour l’oiseau migrateur et déplore que l’homme en soit le principal prédateur. Il souffre de voir les rives de la rivière saccagées par les coupes d’arbres sur les territoires appartenant aux usines  – c’est qu’il en faut du bois pour faire du fer et  toutes ces barques qu’il faut construire tous les ans.. Elles en demandent énormément,  et du bon.  Et ce sont quelques centaines d'embarcations, jusqu’à 600, qui arrivent  à Perm au printemps pour décharger, là ou plus loin,  leurs cargaisons venant de nombreuses usines installées parfois à de grandes distances de la rivière, au gré des mines.
                                                                                                                                             
          La Tchoussovaya faisait entre 60 mètres et 300 mètres de large – la navigation  a été améliorée par  la destruction de certains fonds dangereux ( une « première » paraît-il dans le monde selon un article trouvé sur le net) ; la fin de son cours fait partie maintenant d’une grande réserve d’eau. Et il y a des fêtes-souvenirs  sur les rives de ce fleuve, à l'occasion desquelles les jeunes spectateurs lancent sur l'eau des petits bateaux de bois avec une chandelle allumée.

         Le récit est très précis et quasi technique en ce qui concerne le flottage, les différents courants, les manœuvres -  il y a aussi plusieurs histoires dans l’histoire (sur les vieux croyants, sur l’origine de villages, sur certaines légendes,) – Mais c’est aussi un très beau roman ;  Comment oublier le flotteur Savoska qui intéresse particulièrement l’auteur, et le vieux Loupane, et le grincheux Porcha -  comment ne pas être soucieux avec Silanty et son artel paysan. Comment ne pas détester le doucereux « Plus »  Egor Fomitch, et mépriser un tant soi peu le commis du caravanier,  le criard et bambocheur Ossip Ivanytch, Voilà, j’ai fait ce que j’ai pu pour dire que ce texte existe et qu’un esprit curieux y trouverait de quoi faire, et aussi de quoi rêver.

 

 

 

 

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Published by Tante Blanche - dans littérature russe