Difficile de faire un résumé de ce récit qui ressemble plus à un exposé des faits qu’à une histoire romancée, et que l’auteur situe sur le site d’un ancien bagne qu’il désigne sous le nom d’Ouspiensk. Essayons de ne pas perdre l’information.
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Nous sommes en avril, dans la douceur du printemps, par une journée ensoleillée marquée par le silence de la forêt sibérienne où manque le brouhaha des oiseaux.
Le cocher interroge son passager : est-il simplement de passage. La conversation s’engage : Oui, le cocher travaille bien à l’usine d’Ouspiensk… Il s’étonne quand le narrateur lui demande s’il vit dans sa propre maison. Il comprend enfin et confirme : oui, il est bien un ancien bagnard, et il est de ceux qui sont restés ici, qu’on appelle encore les « bagnards d’Ouspiensk. Mais quand le bagne a été supprimé, à la demande des instances supérieures, tout le menu fretin s’en est allé, surtout les femmes. Le narrateur examine le cocher : solide et plutôt avenant. L’homme ôte son bonnet sous le regard qui le dévisage et montre ainsi qu’il est « marqué ». La tempe est en effet décomposée par une espèce de lettre noire, marque faite au fer chaud, qui signifiait qu’il était un « relégué »…
Il explique son histoire : il était de Riazan où il travaillait avec d’autres cuisiniers pour une gigantesques propriété foncière. Une vieille femme féroce les faisait marcher au bâton. Chaque matin elle battait un cuisinier. Il supportait, supportait, jusqu’au jour où il lui a planté son couteau directement au ventre. Le soir elle était morte et les cuisiniers condamnés à 4000 coups de bâton. Il y en eut un, pourtant solide et vigoureux, qui n’a pas supporté le quatrième millier et est mort.
Le voyage touchait à sa fin, le haut campanile est apparu, ainsi que les ruines sinistres de l’ancien bagne et les nouveaux bâtiments de la première papeterie que l’on construisait en Sibérie.
Le cocher expliqua qu’à cet endroit il y avait autrefois une fabrique de bagne ivre, autrement dit une distillerie.
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Le voyageur venait pour visiter cette première papeterie, rencontrer un familier et se documenter sur l’ancien bagne. Son hôte, l’ingénieur Appolon Ivanitch lui offrit le thé dans l’appartement qu’il avait aménagé dans une pièce de l’ancien bagne où avaient lieu autrefois les enquêtes, les interrogatoires et toutes sortes d’investigations . Le voyageur remarqua que la femme de chambre qui les servait devait être une ancienne reléguée, venant de Russie, sa physionomie ne présentant pas les signes sibériens : pommettes et yeux étroits. Appolon a confirmé – tout le monde ici vient du bagne. Et, à l’autre question, il répondit que tout était aussi normal ici que dans les autres villages, pas plus de criminalité, une vie tranquille et paisible. Il y avait pourtant encore des personnes ayant fait partie des bagnards : … encore six vieillards marqués au fer ; le dernier ayant eu les narines déchirées est mort depuis une quinzaine d’années, mais certains s’en souviennent encore.
Après le thé ils visitèrent pendant deux heures la nouvelle usine très moderne. Quel changement par rapport à l’ancienne industrie qui alimentait les cabarets sous le fouet, les verges et le knout. Le visiteur interroge son hôte sur l’ancienne activité. En fait, la distillerie du bagne était donnée à bail et les fermiers généraux gagnaient des fortunes. Le champagne coulait à flot : gaité violente d’un côté, bagne de l’autre.
Le soir, l’ingénieur et son invité se sont promenés à travers le site. Les maisonnettes d’habitation étaient entourés de jardins à la russe. Elles n’appartenaient pas aux Sibériens , mais bien à des gens venus « involontairement » dans cette région. On y voyait une population parfois mélangée, le type sibérien avec l’apport des types russe, allemand, circassien,… ce qui convenait particulièrement à la beauté des femmes.
Apollon fit la remarque qu’en effet, tellement de personnes étaient envoyées au bagne, venant de toute la Russie, qu’on y trouvait mères, femmes et maîtresses. La vie y avait été si dure que la relégation qui suivait (rester sur place) semblait le paradis. Les condamnés étaient dans une forte majorité des gens jeunes.
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Le narrateur devait passer trois jours à l’usine. Le plus intéressant qu’il trouva fut la liste détaillée des condamnés sur quelques années ; on trouvait le nom, le titre, le corps du délit et la forme de punition. L’essentiel du contingent était formé par des criminels issus du servage. Les crimes notés étaient ahurissants , Quelle dérision : par exemple un esclave paysan a été condamné à quatre ans de bagne pour avoir dérobé du miel chez sa propriétaire foncière ! Un groupe de jeunes filles de 17 à 25 ans avaient été envoyées là à la suite d’un incendie criminel ; Une autre aurait utilisé du poison ; une seule était accusée d’infanticide…. Un vrai martyrologue que cette liste.
Le voyageur repartit avec le même cocher.
- Le bagne était dur, Grand-père ? lui demanda t il.
- Très triste en effet, répondit le cocher, mais en Sibérie nous avons vu la lumière, nous sommes devenus libres . Il rappelle que les femmes au bagne n’étaient pas marquées, mais souvent « offensées » par les inspecteurs. Un particulièrement s’en frottait les mains !.... Oui les punitions étaient terribles. Le bourreau, Filka, venait de Tobolsk. Le diable en personne. On assemblait l’argent à lui donner pour qu’il ne soit pas trop féroce, sinon personne ne serait sorti vivant de ses mains. Les verges ? et bien, c’est plus propre que les fouets à mille fois… et de raconter : l’un d’entre nous, Ermile Kojinim, était souvent puni – il avait perdu toute sa famille. Et bien, pour faire peur à deux compagnies ils l’ont déshabillé. L’homme était puissant mais son corps était blanc. Plus difficile (de résister) – au premier mille il est tombé – ils l’ont mis sur un chariot et l'ont transporté. Ils appliquèrent quand même le deuxième mille. Le docteur a dit alors - donnez lui a boire... mais c’est connu, boire sur la punition, c’est la fin. Il a succombé sous le deuxième mille. Et c’était l’ordre des autorités ! afin d’exciter les soldats pour que les remplaçants fassent plus. Se rappeler de cette affaire est mauvais….
Bien que la journée soit belle et ensoleillée, c’est un silence lugubre qui tombe . Un proverbe russe est bien adapté : le défunt près des portes ne coûte pas, mais il prendra .
cycle "Les criminels"1895